La JNVE

Savez-vous qu’il existe une journée dédiée à la non-violence éducative ? Qu’elle a lieu chaque année le 30 avril, et ce depuis 2004 ? En même temps, est-ce si étonnant ? Il y a bien une journée nationale des ingénieurs (19 octobre), une contre l’herpès (21 novembre), et même une consacrée aux chips (22 janvier)…

La Journée de la non-violence éducative, initialement journée contre la fessée, a pour but de montrer aux adeptes du « j’en suis pas mort » qu’il existe des solutions alternatives à la traditionnelle torgnole en pleine face, aux punitions et au chantage (dont Noël constitue le paroxysme).

En bons apôtres que nous sommes, il était tout naturel de répondre présents. Et visiblement, nous  avons été les seuls. Malgré un programme alléchant, à peine 20 participants, dont une moitié d’enfants. L’ingratitude du bénévolat est une expérience particulière que chacun devrait vivre au moins une fois dans sa vie.

Tandis que les adultes, réunis en cercle, laissaient libre court à leurs émotions, les enfants et moi, disposés de part et d’autre d’une table rectangulaire, nous apprêtions à laisser libre court à notre sens artistique. Gros délire en perspective. Hashtag « centre aéré ». Hashtag « au secours ». Hashtag « ma vie c’est d’la merde et je l’échangerais bien contre celle du roi du Maroc ». Pour éviter de me sectionner les veines avec la paire de ciseaux à bout rond que j’avais face à moi, j’ai imité mes jeunes camarades.

Et nous voilà partis, les uns maniant le pinceau, d’autres les crayons de couleur. Tous étaient concentrés et chacun y allait de son chef-d’œuvre. Mon deuxième achevait de belles fleurs colorées, rompant ainsi avec ses réalisations précédentes, comme cette pierre tombale réalisée la veille, et sur laquelle il a inscrit son prénom en grosses lettres… Mon troisième, quant à lui, lacérait sa feuille avec la pointe d’un feutre en souffrance. Que cherchait-il à nous dire ? Je l’ignore encore à l’heure actuelle.

A ma droite, un allègre garçonnet de 8 ans chantonnait en coloriant les nuages qu’il venait préalablement de griffonner. Par politesse plus que par intérêt, je lui ai demandé de m’expliquer la présence incongrue du rose et du orange sur son dessin. J’ai senti dans son regard de la pitié, de la pitié pour mon cerveau atrophié incapable de saisir l’évidence. « Bah, tu vois, le rose c’est de la barbe à papa et le orange c’est de la carotte ». « Hein Hein » lui ai-je répondu.

La discussion aurait pu (dû) s’arrêter là. C’était sans compter sur l’intérêt des autres participants. Un improbable échange sur des glaces à la carotte, au beurre, et même à la merde (!), ponctué de rires francs, a alors animé la tablée. Je l’avoue, loin d’avoir su (voulu) tempérer les esprits agités, je crois, au contraire, les avoir encouragés en pouffant moi aussi.

Le calme est finalement revenu de lui-même. Mon voisin, toujours aussi enjoué, s’est mis à fredonner une chansonnette parlant de « Camille » et de « vanille ». Soucieu de m’ambiancer sur ce bête de çeaumor une fois rentré chez moi, je lui en ai demandé le titre et l’auteur. Etant incapable de me répondre, il est allé se rencarder auprès de sa mère, puis est revenu avec l’info : La glace au citron d’Henri Dès.

Bigre ! Henri Dès ! Le ménestrel helvète à la voix suave qui a bercé l’enfant que j’étais de ses incroyables ritournelles allant de « Pan, pan, pan ! Qui est là ? C’est la petite Charlotte », à « C’est à l’école, Tagadagada, qu’on apprend les bêtises », en passant par « Crapaud t’es pas beau, tu plais pas aux filles ». Aldebert fait pâle figure à côté de ce géant, et peut aller se recoiffer !

Tout émoustillé par ce reflux de souvenirs enfouis, j’ai mis un point d’honneur à expliquer à mon interlocuteur que je connaissais Henri Dès et que je l’écoutais à son âge. Je lui aurais annoncé que j’étais un collectionneur invétéré de porte-clés, sa réaction aurait la même. Il s’en battait littéralement les steaks. Soucieux d’éviter qu’un blanc gênant ne s’installe, je lui ai demandé s’il écoutait Henri Dès avec sa mère ou son père.

Je ne peux que vous retranscrire le plus fidèlement possible sa réponse de légende : « Avec maman. Avec papa, j’écoute le son de la carabine, je préfère. » Tout ça pendant qu’il dessinait une femme assise tenant de sa main droite une arme ayant l’aspect d’une mitraillette.

Florian Jourdain, 5 juillet 2022.

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