J’ai lu des livres pour enfants sur l’école… (épisode 3)

… et c’est de mieux en mieux !


Vous l’attendiez avec autant d’impatience que le départ du sympathique Donald de la Maison Blanche, voici le troisième épisode de mon analyse de livres pour enfants traitant de l’école.

De même qu’on ne change pas une équipe qui gagne, on ne change pas un concept qui marche. Je me suis donc rendu à la médiathèque pour glaner quelques ouvrages prometteurs. En bon cuisinier, je vous ai mijoté un bon petit frichti à base d’ingrédients plutôt banals : devoirs pas faits, écolière harcelée et angoisse du collège. Le résultat n’en est pas moins savoureux, comme de la gelée de viande (dédicace à ma belle grand-mère paternelle) ou du pénis de yak grillé (si, si, ça existe).

Allez, je sens que vous salivez déjà et il serait cruel de vous faire languir plus longtemps. Au programme, donc, trois livres que je vous présenterai par ordre chronologique, afin de montrer qu’en vingt ans on n’a pas évolué ou si peu.

electre_2-88480-023-9_9782884800235-1BLOCH Serge et SAINT MARS (de) Dominique, Max et Lili ne font pas leurs devoirs, 2002.

On commence par Max et Lili, les stars des 6-12 ans, dont les nombreuses aventures se sont écoulées à plus de vingt millions d’exemplaires ! Derrière ce gros succès commercial, on retrouve deux poids lourds de la littérature jeunesse : Dominique de Saint Mars et Serge Bloch. La première a été journaliste à Astrapi pendant 15 ans, a travaillé occasionnellement pour les gouvernements Rocard et Jospin, ainsi que pour l’UNESCO, a été faite Officier des Arts et des Lettres en 2016 et Chevalier de la Légion d’Honneur en 2017, et a même une école primaire à son nom, rien que ça ! Le second a un CV plus modeste, même s’il s’agit d’un illustrateur multi-primé qui a dessiné des personnages devenus célèbres, comme Zouk et SamSam. Depuis 1992, Dominique de Saint Mars et Serge Bloch travaillent ensemble sur Max et Lili dont ils ont produit plus de cent numéros, publiés dans une collection baptisée « Ainsi va la vie ».

L’épisode qui m’intéresse ici date de 2002 et parle des sempiternels devoirs à faire. Dès le titre, on sent que ça ne rigole pas. On dirait les aveux de la poukave (pookie, donneuse, balance, rapporteuse – rayer les mentions inutiles selon votre âge et votre profil sociologique) de la classe. Comme on s’en doute, Max et Lili, une fois rentrés de l’école, n’ont pas sagement pris leur goûter pour ensuite ouvrir leurs cahiers avec entrain et se mettre au boulot. Pas du tout ! D’ailleurs, il n’y a qu’à regarder la couverture du bouquin pour comprendre que le bureau de Max et Lili, sûrement acheté à prix d’or à IKEA par leurs parents, leur sert de cachette pour faire des parties de belotte endiablées, et non pas pour étudier avec tout le sérieux qu’on attend de gamins de 6-8 ans. Les vilains canaillous !

Dès les premières pages, on voit Max et Lili assis devant la télé à regarder un bon vieux western (chacun ses goûts), quand leur père fait son apparition. Ce dernier, qui rentre probablement du boulot, leur demande immédiatement s’ils ont fait leurs devoirs (c’est que ça devait le tracasser durant tout le trajet en RER). Bien sûr, les gosses tentent de louvoyer : Max propose une partie d’échecs et Lili annonce qu’elle va promener le chien. Le paternel ne l’entend pas de cette oreille et, après bien des difficultés, parvient à les envoyer au turbin.

Rapidement, il se fait bolosser. Alors qu’il reproche à son fils d’écrire comme un porc, celui-ci lui rétorque aussi sec : « toi aussi t’écris comme un cochon ». A ce moment-là, Max est à deux doigts de faire une brutale rencontre avec la main de son créateur. D’autant plus que l’effronté en remet une couche : « Maman, elle chipote mais elle ne crie pas. Je les ferai avec elle, mes devoirs ». La tension est palpable dans le pavillon : le daron sue dans sa chemise jaune, Max pleure, et, quelques pages plus loin, Lili avoue, en pleurant elle aussi, s’être fait exclure de son groupe d’amies. A ce moment précis, je crains que le père, usé par des années de paternité, ne perde son cool et ne sorte la chevrotine pour tirer dans le tas.

Le massacre est évité de justesse par un événement inattendu : Max se rend compte qu’il a oublié son livre de maths. Ni une ni deux, il tente de se rendre chez un copain pour copier un exercice s’y trouvant, accompagné de Lili. Le paternel tente du mieux qu’il peut de les en empêcher, mais finit par les laisser partir, à bout de forces et de nerfs.

Lorsqu’ils rentrent au bercail, les deux fugueurs tombent sur maman et papimamie (a.k.a. « Popi », en référence au singe, sûrement). Devinez sur quoi porte la discussion ? Le contrat obsèques des vieux ? La ménopause approchant de madame ? L’affreuse veste verte de papy ? Que nenni ! Ça cause devoirs, emploi du temps et organisation scientifique du travail. Ce grand n’importe quoi se poursuit autour d’un bon plat de lasagnes surgelées et se termine par un spectacle de Max et Lili qui récitent des multiplications en rappant ! A couper le souffle ! Je ne vous cache pas que j’ai eu besoin d’un verre d’eau avant de lire la suite. Je vous invite à en faire autant avant de poursuivre.

Comme je suis généreux, je vous donne mes trois punchlines préférées recensées dans cette histoire. Je me permets d’ajouter quelques remarques entre parenthèses.

Maman de Max et Lili à Max (page 32) : La maîtresse « a dit aussi que les devoirs c’était pour apprendre… (ce n’est donc pas le but premier de cette abominable corvée ?) et que tu avais le droit de te tromper (quelle mansuétude de sa part)… »
Mamie, qui en remet une couche, à Max (page 34) : « Les devoirs, il faut que ce soit un rite, tous les jours, à la même heure (un peu comme la messe) et que votre cerveau ait programmé ce projet ! (ça te fait rêver gamin, hein ?) Vous êtes comme des écrivains (Euh, non, définitivement, non) ! »
Papy répond à Max qui vient de verbaliser sa préférence pour une forest school (page 36) : « Mais tu sens que tu es content de toi quand tu as appris des choses nouvelles et que tu deviens un homme… (je me demande si l’ancêtre n’aurait pas abusé de certaines substances avant de venir) et que vous (il s’adresse à Lily aussi) aurez la chance de choisir un métier qui plaira ! (quel esprit logique !) Pas comme moi (pôv bout de chou) ! »

On était en droit d’espérer que ce bourrage de crâne prenne fin et soit atténué par de judicieux conseils. Au risque de tuer tout suspense, on ne trouve rien allant dans ce sens dans les pages suivantes. A la place, on a droit à des questions – supposées être celles d’enfants ayant des problèmes ou des facilités avec leurs devoirs – et des astuces pour bien faire son travail scolaire – « les petits trucs de Max et Lili ».

A aucun moment on ne questionne l’utilité réelle d’une telle tâche. Pire, l’auteure semble ignorer que depuis 1956 une circulaire interdit formellement aux enseignants de primaire de donner des devoirs écrits à la maison. Rien non plus sur le consentement ou l’intérêt supérieur de l’enfant. Rien évidemment sur les apprentissages autogérés ou le unschooling, faut pas déconner non plus. Le message véhiculé est aussi simple qu’impitoyable : fait ce qu’on te dit de faire, même si tu trouves ça absurde, c’est pour ton bien, et si tu n’y arrives pas, tu dois tout faire pour que ça change. Comme le rappelle Dominique de Saint Mars, « si tu te sens déconcentré, agressif ou nul, trouve quelqu’un pour te comprendre et t’aider ». Allez, débrouille-toi avec ça mon petit, et si tu n’as personne sur qui compter, tu peux te rabattre sur des anxiolytiques ou de la ritaline ! « Ainsi va la vie ! »

J'ai peur des mauvaises notes florence dutruc-rosset marylise morel littérature jeunesse devoirsDUTRUC-ROSSET Florence et MOREL Marylise, J’ai peur des mauvaises notes, 2004, rééd. 2010.

On enchaîne avec les aventures de Lulu, jeune écolière de 9 ans qu’on a déjà rencontrée dans notre volet précédent. Je dois avouer que, là, on monte d’un cran dans l’horreur. Si vous êtes adeptes de la CNV, préparez votre roue des émotions, ça va secouer !

L’histoire se déroule dans une classe de CE2, le jour de la remise des contrôles d’Histoire. Lulu, qui a déjà eu 7 sur 20 en dictée, appréhende. Elle a bien raison. Sa maîtresse lui apprend que son devoir vaut 6, pas plus, et menace de convoquer sa mère, ce qui angoisse un brin notre héroïne. Dès le départ, on voit bien que Lulu apprend pour faire plaisir aux adultes et non pour assouvir sa curiosité. Qui est maître de ses apprentissages n’éprouve aucune crainte.

Le second chapitre démarre sur les chapeaux de roues avec un échange plein d’amour – et dont on se demande ce qu’il vient faire là – entre Lulu et sa grande sœur :

– T’en fais une tête, la mioche ! (qui emploie encore ce mot de nos jours ? qui employait ce mot en 2004 ? personne) Tu as rencontré un miroir sur la route ou quoi ? – Ah, ah, très drôle… Au secours, aidez-moi, je crois que je vais mourir de rire…- De toute façon, le jour où tu auras de l’humour, les putois sentiront la rose… Allez, va prendre ton goûter et, surtout, tu débarrasses la table avant que maman rentre, pigé ?- Tu me parles sur un autre ton, madame « Je-me-prends-pour-la-chef ». Tu n’es pas ma mère !- Oh là là, les mioches, ils se mettent dans de ces états ! Tu as encore perdu aux billes, c’est ça ? Tu t’en remettras ma vieille !

Epoustouflant, les dialoguistes d’Hollywood peuvent trembler !

Après s’être fritée avec sa sœur, Lulu appelle sa besty pour élaborer un plan de maquillages des chiffres, car, rappelons-le, sa mère va devoir signer les copies de la discorde. Devant leurs idées claquées au sol, les deux fillettes jettent l’éponge. La maman rentre du boulot et finit par apprendre les résultats déplorables de sa fille. A ma grande surprise, elle réagit en philosophe, de manière calme et pondérée. Mais, non, je déconne ! Dès qu’elle voit le 6 et le 7, elle met les mains sur les hanches et commence à geindre : « Qu’est-ce tu feras dans la vie ? Tu n’aimerais pas pouvoir choisir ton métier ? » A cet instant précis, je me demande si elle ne serait pas amie avec Popi (les conseillers spéciaux de Max, souvenez-vous). Lulu a beau crier haut et fort qu’elle travaille comme une acharnée, rien n’y fait. Sa daronne se montre ferme : plus de télé, de téléphone, de console et de copains-copines. Un vrai huis clos avec pour seule compagnie des cahiers et des livres, voilà ce qu’elle préconise. Au bord des larmes, Lulu se rue sur sa touffe de poils, je veux dire, son cochon d’Inde d’amour, le seul qui la comprenne : « Il m’aime pour moi, pas pour mes notes » (essaie d’arrêter de le nourrir quelques jours et on verra s’il te respecte toujours autant).

Bref, samedi arrive et la petite prisonnière ingurgite sa leçon sur les châteaux-forts. Toute contente, elle va l’annoncer à sa mère, avachie dans le canapé du salon. Cette dernière, loin de la féliciter, organise une interro surprise ! Et là, le drame : Lulu bafouille et s’emmêle les pinceaux. Inutile de préciser que ça n’a pas plu à la matrone : « Tu n’as pas appris ta leçon, Lulu ! Ça vaut 2 sur 20, pas un point de plus. C’est nul, nul, nul ! Tu retournes immédiatement dans ta chambre pour apprendre cette leçon et, si tu as une mauvaise note lundi… Ça ne se passera pas comme ça, crois-moi ! » « Moi aussi je t’aime maman », lui rétorque Lulu. Ah, non, pardon. En fait, la gamine, en larmes, « court se réfugier » dans sa chambre. C’est important l’harmonie, dans une famille.

Une heure plus tard, probablement inquiets que leur fille ne se soit pendue ou n’ait sauté par la fenêtre, les parents rappliquent. Le père, qui a toujours des idées géniales, propose une sortie pour réconcilier tout le monde. Lulu est surexcitée mais déchante assez vite, car il ne s’agit en rien d’une virée au cinéma ou au centre commercial du coin, mais bien d’une visite d’un château-fort en ruines, et c’est le paternel qui va servir de guide. Tous les ingrédients sont alors réunis pour une après-midi horrible, mais, magie de la fiction, tout se passe à merveille, les deux sœurs se réconciliant même grâce à une bagarre dans la boue. #Merci Daddy. J’en ai la larme à l’œil et attends la suite en frétillant d’impatience.

La suite, justement, se déroule le lundi matin. On voit Lulu au bord de la rupture : gorge nouée, trouille, perte d’appétit… Ses parents sont à deux doigts de prévenir le CHU le plus proche. On est tenté de croire que Lulu vient d’apprendre la mort de son cochon d’Inde d’amour alors qu’en fait elle a juste son contrôle d’Histoire dans la matinée. Heureusement, papa et maman sont là pour distiller de bons conseils : « Tu es nerveuse, c’est normal » (ah bon ?), « prends un bol de céréales, ça te donnera des forces » (hein, hein…), ne t’inquiète pas si tu n’as pas tout bon, tu as le droit de te tromper », ose affirmer la mère qui, quelques pages avant, menaçait sa petiote d’en faire un petit Grégory.

Le moment fatidique arrive enfin. Devant sa feuille, Lulu est nerveuse, ses mains et sa culotte Hello Kitty sont moites, et elle commence à délirer : « La panique revient au galop. J’ai mal au ventre, j’ai peur de ne pas savoir répondre, d’avoir encore une mauvaise note ! A force, je vais redoubler, et là, ce sera terrible, abominable », je vais sombrer dans la drogue et être obligée de me prostituer pour gagner ma vie. Rassurez-vous, messieurs-dames, Lulu a finalement obtenu la note de 20/20, son brevet des collèges, son bac avec mention « très bien », a intégré une classe prépa et une école de commerce, dans laquelle elle a sniffé beaucoup de coke pour décompresser de toutes ces années de labeur. Aujourd’hui, elle est secrétaire d’Etat en charge de l’égalité hommes-femmes et fait la promotion du lissage brésilien, sur son compte Instagram.

Ce chef-d’œuvre de littérature jeunesse s’achève avec les sempiternels conseils de l’auteure, validés par une psychanalyste et maître de conférences en psychologie. Ça en jette ! Par exemple, pour être moins stressé par les notes, FloFlo nous explique qu’ « il faut d’abord être plus sûr de soi ». Comment y arriver ? Très simple, « pour cela, il suffit parfois d’avoir bien compris les leçons en classe. Alors n’hésite pas à lever le doigt pour demander des explications à ton maître ou à ta maîtresse »… Je me demande si ça marche quand l’enseignant terrorise les gamins ou lorsque les enfants sont atteints de phobie scolaire. Autre recommandation judicieuse : « quand tu fais tes devoirs à la maison, essaie toujours de comprendre ce que tu apprends »… N’est pas « Huggy les bons tuyaux » qui veut !

livre collège Trop bien la 6e Sophie Bresdin Jacques AzamAZAM Jacques et BRESDIN Sophie, Trop bien la 6e, 2007, rééd. 2014.

Je vous ai gardé le meilleur pour la fin ! N’allez pas chercher dans le titre de ce bouquin du second degré ou de l’ironie mordante. Sophie Bresdin, l’auteure de ce guide, assistée de Jacques Azim pour les dessins, est très sérieuse. D’ailleurs, depuis 2001, elle pond un ouvrage sur le sujet, tous les 6-7 ans. Sachant que le dernier date de 2014, attendons-nous à une prochaine contribution aussi savoureuse que celle dont je vais vous parler !

De la première à dernière page – une centaine au total – on a le sentiment d’écouter Jean-Michel Blanquer. Dès l’intro, le ton est donné. On y parle de gros cap à franchir, de fantasmes sur la 6e (indifférence des profs, racket, violence), mais que « cette première année de collège ne se révèle pas si terrible que ça » pourvu qu’on trime dur et qu’on y mette du sien. La suite n’est guère plus rassurante.

Le premier chapitre compile des témoignages de futurs 6e (en fait, écrits par l’auteure). Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est gai : « On sait tous qu’il y a de la drogue qui circule au collège ; on se demande si les grands ne vont pas nous piéger et nous obliger à en consommer… » se lamente un dénommé Benoît. Un soi-disant Théo en remet une couche : « On n’aura pas trop intérêt à la ramener. La drogue, on y pense, c’est sûr, mais, moi, j’ai surtout peur du racket. C’est encore pire, parce que les racketteurs s’en prennent toujours aux plus jeunes, et, si on les dénonce, ils deviennent extrêmement violents. Devant ce problème, on risque de ne pas faire le poids ». « Plus je pense au collège, plus j’ai peur », conclut Emilie, des sanglots dans la voix. A bien écouter ces charmants pioupious, on a le sentiment qu’ils vont intégrer une prison du Salvador. Heureusement pour eux, tatie Sophie a un conseil en béton armé : « l’idéal serait de pouvoir visiter votre future école au cours du CM2. Et si possible, un jour où les élèves sont présents dans le collège ! » Impressionnant ! Même si ça ne part d’un mauvais sentiment, c’est un peu léger comme thérapie.

Dans ce même chapitre, l’auteure insiste sur le fait que l’entrée en 6e rime avec travail et non farniente : « Vous n’êtes pas à l’école pour faire des pâtés de sable, mais pour préparer votre avenir » ; « vous l’aurez compris, c’est dès aujourd’hui qu’il faut vous mettre au boulot ». Elle rappelle aussi qu’il va falloir se remuer le derche et assumer ses « responsabilités scolaires » pour être considéré en retour : « Si vous voulez que vos parents vous fassent confiance, commencez par leur prouver que vous êtes capables d’ouvrir tout seul votre cahier de textes ! » Pan ! Prends ça dans ta face petit !

Cette avalanche de bons conseils s’achève avec le portrait de la petite Jade, écolière de CM2, qui a déjà tout compris à comment faut faire : « C’est vrai que parfois je regarde la télé plutôt que de me plonger dans mes cahiers. Mais, en général, je me mets au boulot. Je ne suis pas idiote, je sais que c’est indispensable pour mon avenir ». Tuer la part d’enfant qui est en chacun, et ce dès le plus jeune âge, puis transformer les gamins en dociles employés de bureau, voilà un programme ambitieux pour la jeunesse de notre pays !

Dans le chapitre suivant, consacré aux différentes filières et établissements existants, Sophie se veut toujours aussi caressante et rassurante, avouant « qu’il existe des collèges moins dynamiques que d’autres (quelques établissements étant même carrément catastrophiques, cumulant absentéisme des profs et violences quotidiennes) ». Nous n’en sommes qu’à la page 25 et je doute que les futurs collégiens parviennent jusqu’à la fin de l’ouvrage. Peut-être aurait-il été pertinent de leur parler de l’instruction en famille comme alternative à leurs tourments. Je dis ça, je dis rien…

La troisième partie de ce livre entend faire le tour des différents aspects du collège. L’auteure nous explique que c’est un labyrinthe, que les sacs sont trop lourds, qu’on y mange mal, qu’on peut s’y faire agresser, qu’il vaut mieux ne pas trop s’y faire remarquer et que le principal est une sorte de Dieu vivant. J’ai beau avoir 35 ans bientôt, j’ai failli m’évanouir. Alors imaginez la réaction d’une brindille de 10-11 ans !

Ce chapitre est tellement dense que je pourrais en tirer un livre de 300 pages. Je vais plutôt me borner à vous en extraire les meilleurs passages :

Si vous êtes perdus dans les couloirs, « repérez les élèves les plus dégourdis et suivez-les ! D’accord, cela fait un peu mouton, mais, au moins, vous ne serez pas en retard en cours ».
« Dans notre collège, il y a bien des casiers réservés aux sixièmes, mais on ne laisse jamais rien dedans, car ils sont fracturés tous les deux jours ! »
« Eh oui, il ne faudrait pas croire que la liberté soit un dû automatiquement attribué du fait de votre statut tout neuf de collégien : cette liberté tant convoitée se mérite, et ce sont vos parents qui décident s’ils vous l’accordent ou non. Alors, ne faites pas n’importe quoi ! »

Et mon passage préféré, le témoignage de Mathieu, petit fasciste en herbe :

« Ce n’est tout de même pas le bagne ! Si l’on respecte ces deux ou trois trucs, on est peinard. C’est vrai qu’il y en a toujours un ou deux pour mettre le souk, mais ceux-là ils n’iront pas bien loin ! Et puis, dans l’ensemble, il y a rarement de gros débordements parce qu’on sait qu’on est là pour bosser. Finalement, c’est pas le Club Med, mais il y a une bonne ambiance ! »

Ce chapitre épique s’achève sur la violence qui sévit au collège. Quel conseil cette brave Sophie donne-t-elle aux futurs sixièmes ? Rien de plus simple ! Selon elle, « pour être tranquille, le mieux est d’adopter une attitude et un look passe-partout, le principal étant d’être à l’aise dans ses baskets ! » Et si ça ne marche pas, si jamais une bande de « terroristes scolaires » venait à vous faire faire le tour de la cour de récréation en vous traînant par les cheveux, là il faut agir : « parler au plus vite de vos problèmes à votre professeur principal, au conseiller d’éducation et à vos parents ». L’affaire sera probablement minimisée, aucune médiation entre la victime et les bourreaux n’aura lieu, les adultes se contenteront de punir sans chercher à réparer et tout recommencera de plus belle dans quelques jours.

Le quatrième et avant-dernier chapitre est consacré au travail scolaire. Sophie, porté par un élan de camaraderie, s’adresse aux futures victimes en ces termes : « Alors, ça y est ? Vous êtes prêts à bosser ? Vos crayons sont bien affûtés ? » Autrement dit : Wesh gros, t’es chaud ou quoi ? Et le programme proposé a de quoi séduire le plus réticent des CM2 : profs qui se souviennent pas de tous les prénoms, cadences infernales, vilains garnements qui « prennent un malin plaisir à saccager l’ambiance de la classe », devoirs à la pelle (« comptez en moyenne une heure supplémentaire chaque soir »), évaluations systématiques, parfois inopinées.
Alors petit, tu comprends pas le pourquoi de tout ça ? Enfin, fais un effort, l’objectif est simple : « faire de toi un collégien à la tête bien faite et un futur citoyen responsable ». Instruire et émanciper par la force, n’est-ce pas là une idée géniale ? On comprend mieux la défiance collective envers l’Ecole et l’Etat, et la nécessité qu’a ce dernier de resserrer la vis pour que tout le monde file droit.

Cet abominable guide prend fin avec un ultime chapitre dédié à l’autonomisation du jeune sixième. Sophie, en roue libre, enfonce le clou, achevant les quelques lecteurs survivants avec des propos dignes d’une business school : « vous ne devrez compter que sur vous-même ». Elle rappelle également que l’objectif premier de tout enfant de 11-12 ans « est de s’imposer un rythme de vie correct », car « le chemin jusqu’au bac est long et parfois semé d’embûches », alors autant courber l’échine dès le départ. Pour y arriver, il suffirait de se coucher tôt, avant 21H30. C’est vrai qu’il s’agit là d’une priorité pour des jeunes ayant passé – pour certains – près de 10 heures au collège, et pressés de faire autre chose que de gratter du papier enfermés entre quatre murs. Un robot pourrait se satisfaire d’une vie réglée à l’heure près, à enchaîner des journées sans joie. Le problème, c’est qu’on parle bien de gamins avides de jeux et de liberté.

Que dire en guise de conclusion si ce n’est que tous ces ouvrages ne sont ni plus ni moins que des outils de mise au pas de la jeunesse. Les auteures ne prennent même pas la peine de se cacher derrière des postures pseudo-cools ou de feindre l’empathie, elles martèlent ouvertement une vision disciplinaire de l’éducation et de l’instruction : apprendre (acte inconcevable en dehors de l’école) est un processus long, pénible, violent, parfois, mais qui, au final, apporte la clé du bonheur : un emploi ! A aucun moment il ne leur viendrait à l’esprit de questionner le système scolaire forcé, l’adultisme permanent et la violence qui en découle.

Ce qui est critiquable, également, c’est le succès de ces ouvrages, largement répandus dans les médiathèques et salles de classe, et édités et réédités. Jusqu’à quand allons-nous subir cette littérature rétrograde ? A quand un autre regard et un autre discours sur l’éducation et l’instruction des plus jeunes ?

Florian Jourdain, 20 janvier 2021

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