Vendredi 26 avril, une soixantaine de personnes se sont retrouvées à la salle Dom Vayssette de Gaillac dans le cadre d’une rencontre consacrée à l’école organisée par les Gilets jaunes du rond-point des zèbres.
Le thème de la soirée a tourné autour de la lutte pour une école publique plus juste et moins élitiste. Pour en parler, des enseignants du primaire et du secondaire, ainsi que des universitaires, étaient réunis. Mais il ne faut pas s’y tromper car, parmi eux, la vedette de la soirée est bel et bien Laurence De Cock, chargée de faire une conférence d’une heure et dont l’énumération du C.V. a duré près de 10 minutes : professeure agrégée en lycée à Paris, historienne et docteure en Sciences de l’éducation, auteure de nombreux ouvrages et articles consacrés à l’éducation et signataire de l’appel des universitaires, intellectuels et artistes solidaires des Gilets jaunes. N’en jetez plus. Le public, composé en grande partie de profs, en activité ou à la retraite, est déjà conquis.

Laurence De Cock arrive incognito et sereine dans la salle
Au programme de la causerie, on trouve pêle-mêle : les inégalités que reproduit l’école, la critique de la méritocratie, Parcoursup, la loi Blanquer et le danger de la multiplication des écoles alternatives. Son discours est une resucée classique des idées de la gauche dite radicale en matière d’école et d’éducation. Déjà, je remarque une confusion – très certainement entretenue – entre scolarité obligatoire et l’obligation scolaire, pédagogies alternatives, écoles alternatives et écoles privées. L’ensemble des interventions du public ayant trait à l’instruction en famille et aux alternatives à l’Education nationale sont balayées d’un revers de la main. Comme l’a exprimé Laurence De Cock à un moment du soi-disant débat : « je suis venue là pour parler d’école ». Circulez, y’a rien à voir. Rien sur le consentement des enfants, rien sur le rapport de domination entre adultes et enfants, rien non plus sur les possibles pistes d’insubordination à l’Education nationale. Notre star d’un soir fustige ceux qui retirent leurs enfants de l’école mais refuse de répondre quand on parle de la non-scolarisation. Elle critique les gens qui se détournent de l’école classique mais refuse de voir pourquoi ils s’en détournent. Son appel pour une école émancipatrice se fait sans aucune concertation avec les concernés. A aucun moment on ne parle des enfants, des jeunes. On parle encore et toujours de ce qui serait bon pour eux et pour une société plus juste. En fait, pour Laurence De Cock, déscolariser c’est œuvrer pour une désagrégation du corps social, c’est mettre en danger le vivre-ensemble. Pour elle, un enfant considéré comme un individu, comme un être à part entière, revient à favoriser l’individualisme au détriment de la collectivité : cela revient à faire preuve d’égoïsme. Pour émanciper, il faut lâcher l’individu dans la masse et lui apprendre à survivre. C’est ça, la socialisation. En ce qui concerne le rôle de l’enfant dans la construction de ses apprentissages, c’est toujours dans la cadre d’un programme pensé par l’adulte, un programme jugé émancipateur. Pour résumer, les alternatives ne profitent qu’aux riches, les familles qui déscolarisent sont des irresponsables, l’enfant ne décide pas de tout et seul les messages de Célestin Freinet et Paolo Freire doivent nous mener au salut. Amen.
En fait, de débat il n’y a pas eu. Laurence De Cock est venue pour réciter sa leçon et faire la leçon. Cette dernière a monopolisé la parole et a pu largement exprimer son point de vue dans le détail. La routine, en somme. Rompue au jeu des questions-réponses, elle sait éviter les questions qui fâchent et les sujets sur lesquels elle n’est pas à l’aise. Autrement dit, le cadre de la soirée a joué en sa faveur. Toutes les remarques et questions du public ont convergé vers elle, ses voisins d’estrade ne servant qu’à faire le nombre. Son temps de parole s’en est trouvé disproportionné. De plus, quand quelqu’un a déjà pris la parole une fois, il lui est difficile de la reprendre. Il n’y a donc pas de droit de réponse. Dans ce contexte, difficile de faire passer un message en quelques minutes, surtout face à une personne qui a eu le loisir de parler sans être interrompue pendant une heure. A mon sens, il s’agit d’un débat tronqué ou plutôt d’un non-débat, une sorte d’échanges de façade entre le public et la tribune. Tout se fait à la verticale et non à l’horizontale. C’est bien là le principal paradoxe d’une soirée organisée par les tenants d’une remise à plats des rapports de domination et les défenseurs de l’émancipation de tous.
Finalement, cette soirée a encore été une occasion ratée de faire entendre un autre son de cloche « à gauche ». L’appel de Laurence De Cock et ses camarades en faveur d’une école visant à l’émancipation des jeunes n’existe pas, n’a jamais existé et n’existera sans doute jamais car elle s’inscrit dans le cadre d’un Etat centralisateur. Pour mettre en place cette école, il faudrait changer nos institutions et donc opérer une révolution politique. Je n’ai rien entendu de tel ce soir-là.
Florian Jourdain, 3 mai 2019
Pingback: La décapitation