Jeudi 3 novembre 2016, c’est le jour J pour la diffusion de l’École en vie, documentaire de Mathilde Syre qui nous montre le travail au quotidien de trois instituteurs en questionnement ayant adopté une pédagogie active pour leur classe. La projection du film est suivie d’un débat que je dois animer et qui, dès les premières minutes, va s’avérer houleux.
Avant de parler du documentaire et du débat, je tiens à rappeler que nous avons choisi de faire venir l’École en vie dans notre ville pour deux raisons:
– montrer qu’au sein même de l’Éducation nationale, des personnes questionnent le métier d’enseignant et la posture de l’adulte;
– attirer un public d’enseignants pour débattre de leur rôle en tant qu’autorité et des finalités de leur métier.

Mathilde Syre, la réalisatrice
Un film qui nous montre qu’une autre approche envers les enfants est possible au sein de l’Éducation nationale
Le film se focalise sur 3 instituteurs et institutrices qui évoluent chacun dans un environnement différent: banlieue ouvrière, village de montagne, village en campagne. La réalisatrice s’attache à montrer en premier l’environnement de la salle de classe et la manière dont les enfants y évoluent, puis donne la parole aux enseignants.
Le film débute à Vaux-en-Velin, où Nicolas, l’instit, qui gère une classe multi-âges d’enfants de 8 à 11 ans (CE2-CM2), a mis en place une pédagogie d’inspiration Freinet. C’est tout logiquement qu’on l’entend parler d' »entraide », de « bienveillance » et de refus de la notation, de la compétition et des sanctions. Il insiste beaucoup sur l’autonomie et la responsabilisation des élèves de sa classe: autocorrection, fabrication et vente de gâteaux par les enfants, mise en place d’un conseil des élèves.
On finit par quitter la banlieue lyonnaise pour la campagne saumuroise où Héloïse, qui travaille dans une classe unique de maternelle avec des enfants de 3 à 6 ans, suit la pédagogie Montessori. On voit donc des petites filles et des petits garçons manier des lettres rugueuses, faire des « versés » et utiliser divers plateaux d’activités, tout cela en autonomie. Ici, le discours de la jeune institutrice est très intéressant dans la mesure où elle questionne le rôle-même de l’enseignant: « Quand on enseigne, on aime bien tout contrôler, tout diriger ». Elle évoque un « travail de lâcher-prise très difficile », un « important travail sur soi » pour s’empêcher d’intervenir systématiquement dans les tâches réalisées par ses petits élèves. Là encore, on parle d' »autonomie » et de « bienveillance » et de la nécessité de mélanger les âges.

Maria Montessori
Pour finir, la réalisatrice nous emmène dans la classe unique d’une école primaire de montagne. Agnès, l’enseignante, s’inspire elle aussi de la pédagogie Freinet. Contrairement à ses collègues, elle semble moins assurée, ce qui l’empêche de faire totalement confiance aux enfants. Cela se ressent à un moment où elle se montre un peu sèche avec un jeune garçon qui lui rend un texte à la calligraphie hésitante. Néanmoins, on la voit qui met en place des outils destinés à favoriser la libre expression et l’autonomie des enfants: ateliers autogérés, temps de parole collectif, ateliers libres. Elle est la seule des trois instits à évoquer les « attentes des parents et de l’institution » qui influent directement sur ce qu’elle met en place dans sa classe. Son idéal tendrait vers la disparition d’apprentissages formels et l’abolition de la barrière entre jeux à la maison et jeux à l’école.
Ces trois initiatives, sincères et touchantes, semblent avoir été impulsées par les mêmes idées: respect de l’enfant, autonomie de l’enfant, mise en retrait de l’adulte. Cependant, nous ne les prenons pas comme fin en soi et pensons qu’elles méritent d’être approfondies.
Un film qui ne questionne pas la domination adulte
S’il est incontestable que les trois enseignants du film agissent avec honnêteté et la réelle volonté d’agir dans l’intérêt des enfants, il n’en reste pas moins que certains aspects méritent une lecture critique.
Tout d’abord, bien qu’elle soit abordée, la question du rôle de l’adulte dans sa posture d’enseignant nous pose un vrai problème. Certes, les instits ne semblent pas faire de « discipline » et passer leur temps à obtenir l’attention de leur auditoire. Certes, la bienveillance dont ils font preuve est réelle. Toutefois, si l’adulte n’apparaît plus comme un gendarme, s’il s’efforce de laisser une plus grande liberté de parole et d’initiative aux enfants, il n’en conserve pas moins sa posture d’autorité. De plus, bien qu’il tende à s’effacer, à être moins invasif, abandonnant ainsi sa position de chef d’orchestre dictant ce qu’il faut faire, l’adulte-enseignant reste le maître du jeu. C’est en effet lui qui décide toujours des apprentissages auxquels seront confrontés ses élèves.
Cette dernière remarque nous amène alors à souligner l’environnement dans lequel baignent les enfants. Dans les trois salles de classe qui nous ont été montrées, on remarque un aménagement pensé et adapté par l’adulte-enseignant, destiné à créer une ambiance détendue, moins oppressante, moins scolaire. Toutefois, ces lieux n’en perdent pas moins leur fonction scolaire. Héloïse, l’institutrice Montessori ne dit pas autre chose lorsqu’elle parle de sa classe comme un « environnement préparé pour construire les compétences nécessaires ».

Un ouvrage essentiel
Cela nous amène à penser, pour finir, que tout pédagogie, qu’elle soit active ou non, entrave, à des degrés divers, les apprentissages naturels des enfants. Ce manque de spontanéité est visible dans le film. C’est ce dont parle Agnès, l’institutrice de montagne, lorsqu’elle évoque son désir de voir la frontière entre activités à l’école et activités à la maison disparaître. Elle semble entendre par là que ce qui est fait dans sa classe reste malgré tout impossible à poursuivre à la maison, et vice versa. En somme, il y a deux territoires différents avec des logiques et des activités différentes. Il est évident qu’à partir du moment où les enfants sont projetés dans un environnement inconnu, qu’ils n’ont pas désiré, ils s’adaptent et adoptent un comportement différent.
Un film qui a suscité de vives réactions dans le public
Une soixantaine de personnes ont assisté à la projection et une quarantaine ont assisté au débat. Pendant le film, on peut entendre quelques rires moqueurs. Certains ont en effet trouvé deux moments particulièrement désopilants. Le premier fou-rire collectif intervient à un moment où la caméra de la réalisatrice s’attarde sur des compositions écrites d’élèves truffées de fautes d’orthographe. Le second moment de franche rigolade est provoqué par une scène durant laquelle un garçon de 5-6 ans compte méthodiquement un millier de perles et qu’il y passe la journée. Ambiance. On a là une situation typique – et insupportable – dans laquelle l’adulte écrase l’enfant par ses railleries.
Le débat qui suit sera tout aussi raffiné. Je commence par demander au public de livrer ses impressions sur ce qu’il vient de voir. Silence. Je prends donc la parole et me prête à l’exercice. Après avoir dit ce que j’aimais dans ce film, une première personne prend la parole. Il s’agit d’une institutrice qui va démolir le film avec des arguments aussi profonds que: « à en croire ces gens avec leurs nouvelles pédagogies, nous on est des vieux chnoques et eux ils ont raison », « on n’est pas dans le monde des bisounours », « comment que je fais moi avec 30 élèves », « faut bien préparer les enfants au monde réel »… Au moment où je m’apprête à lui répondre, une autre personne du public lui donne le change, parle de respect des enfants, du rôle néfaste joué par le système scolaire français. Le ton monte. La grande proportion d’enseignants présents ressent le film comme une violente agression envers leur métier, leur travail, leur personne. L’idée que l’on puisse approuver ce qui est dit dans le film, d’une part, et l’outrecuidance avec laquelle nous osons aller plus loin, d’autre part, enflamment le débat.

Un débat serein, dans une ambiance sereine
Il est très difficile de restituer la teneur des débats. Une chose est certaine, c’est que la remise en cause du professeur, de ses méthodes, de son rôle vis-à-vis des enfants, de son utilité semble encore impensable pour une grande partie des quelques 850 000 enseignants que compte l’Éducation nationale. Les réactions virulentes suscitées par un documentaire qui n’est en rien un pamphlet en sont la preuve.
Finalement, en guise de conclusion, on peut se réjouir de voir les lignes bouger au sein même du système scolaire français. On voit, en effet, depuis une dizaine d’années, fleurir un grand nombre d’écoles alternatives faisant de l’enfant le centre de leur projet éducatif. De plus, on constate une augmentation croissante du nombre d’enfants instruits hors des murs de l’école. Mais malgré tout, le chemin est encore long…
Florian Jourdain, 11 novembre 2016