Après dix années de bons et loyaux services, je n’avais encore jamais abordé le thème du harcèlement scolaire. Alors quoi de mieux pour fêter les dix ans de cette iconique chronique que de réparer cette injustice ?
Le harcèlement scolaire est devenu un tel phénomène de société que les rayonnages de ma médiathèque contiennent plus d’ouvrages consacrés au sujet que de romans de Balzac et Dumas réunis. Rien de surprenant quand on sait qu’en moyenne un jeune scolarisé sur dix serait harcelé en France. Sans parler de ceux qui l’ont été par le passé. Et de ceux qui le seront à l’avenir. Ça en fait du monde. Un sujet sensible qui devrait donc inciter ceux qui s’y intéressent à la rigueur.
Monsieur Mouch et Maria-Paz, Moi, je peux vraiment dire non au harcèlement !, 2021
On entame ce sixième épisode avec l’histoire d’Emma, probablement dix ans, pour qui la rentrée des classes a été synonyme d’enfer. Et c’est auprès de Jules, à la fois son camarade de classe et son amoureux, que la fillette cherche du réconfort. Mais que s’est-il passé ? En fait, tout s’est déroulé en l’absence de Jules, parti faire un petit tour du monde en famille des plus revigorants. Tandis que le petit prince « faisait du feu dehors le soir » et dormait « à la belle étoile », sa dulcinée était victime d’une tentative d’agression sexuelle et de revenge porn de la part d’un dénommé Marcel, qui a essayé de l’embrasser de force puis s’est vengé d’avoir été éconduit en chargeant une dénommée Nadine de poster une photo d’Emma sur les réseaux – photo qui a suscité de nombreuses réactions. Résultat des courses : Emma est au fond du trou. Mais fort heureusement elle peut (enfin) compter sur Jules, qui parvient à lui remonter le moral en lui montrant la vie sous un nouveau jour, et sur les différents adultes de son école, qui ont fait une mise au point salvatrice sur le harcèlement à l’ensemble des camarades de classe d’Emma.
Ce premier livre a le mérite de proscrire l’incitation à la vengeance et d’insister sur le fait que les réponses au harcèlement sont avant tout collectives et non individuelles.
Carina Louart et Anne-Lise Boutin, Harcèlement : comment dire stop ?, 2021
On enchaîne avec un ouvrage documentaire, sobre dans la forme, complet dans le fond.
Rédigé par Carina Louart et illustré par Anne-Lise Boutin, il se construit autour de cinq témoignages d’élèves, collégiens et lycéens harcelés dans leur établissement ou en ligne.
Des citations de spécialistes, des affirmations sourcées, plusieurs références au cadre légal actuel, des témoignages : ce livre se veut avant tout factuel.
Son objectif est d’offrir des pistes de réflexion et des clés aux jeunes concernés (et à leurs parents) pour affronter sereinement des situations dramatiques à vivre.
Cet ouvrage leur recommande notamment de s’ouvrir aux adultes en cas de problème, de ne pas rester isolé et de ne pas chercher à se défendre seul.
Face aux attaques répétées, il faut en parler rapidement au principal ou au CPE.
[…]
Peut-on s’en sortir seul-e ?
Il ne faut pas se mentir : personne n’aime être isolé, se sentir rejeté de tous et vivre dans la peur constante de ce qui va arriver. La seule solution consiste à demander de l’aide à un adulte.
[…]
Même si tu as perdu toute confiance en eux, il ne faut pas se décourager. Il y a forcément autour de toi quelqu’un qui ne te jugera pas et prendra le temps de t’écouter. Ce peut être l’infirmière ou la psychologue scolaire, une voisine, un membre de ta famille, un ami de tes parents…
Seul bémol de ce livre, les propos incitant les jeunes à évoluer en bande et à afficher leur confiance en eux pour éviter d’être des cibles potentielles. Des propos allant dans le sens d’un travestissement de sa personnalité pour survivre dans l’impitoyable univers scolaire. Des propos qui n’interrogent pas le cadre oppressif de l’institution et se focalisent trop sur l’individu.
Mais il ne s’agit que de deux pages sur la centaine que compte le livre. Un livre qui prône la recherche de solutions collectives au problème du harcèlement, comme en témoignent les nombreuses ressources recensées par les auteurs : sites internet et numéros d’urgence.
Emmanuelle Piquet, Je me défends du harcèlement, 2016.
Si les ouvrages précédents proposaient une approche collective et bienveillante du harcèlement, l’inénarrable Emmanuelle Piquet, quant à elle, nous offre une vision survivaliste du phénomène.
On ne présente plus Emmanuelle Piquet, icône médiatique des problèmes scolaires en tout genre, mère fouettarde qui préconise de soigner le mal par le mal, auteure du regrettable Je comprends ce qui m’empêche d’apprendre.
Dans ce nouvel opus, notre femelle alpha a revêtu son bandana kaki et ses rangers. Et dès les premières pages, on comprend que ça va saigner. Un enfant est harcelé ? Le mieux est qu’il apprenne à se défendre seul. Comme un grand. Car life’s a bitch and then you die ! Voilà la vision du monde qu’entend nous faire partager cette brave Emmanuelle.
Aujourd’hui, il y a encore des bagarres, mais ce n’est pas une solution durable. On peut s’en sortir et gagner même si on n’a pas de gros muscles, même si on n’est pas un grand méchant. En étant le meilleur stratège, c’est-à-dire le plus malin. En étant celui qui prend le temps de réfléchir à la situation, de bien observer l’agresseur pour retourner sa méchanceté ou sa brutalité contre lui, sans frapper (en tout cas, pas en vrai). C’est ce qui s’appelle « l’effet boomerang », ou la « flèche de résistance ».
Savoir faire ça, c’est vraiment fort ! C’est presque un art, mais un art qui te servira toute ta vie, car crois-moi : les harceleurs grandiront, ils quitteront la cour de récré pour se retrouver plus tard devant la machine à café, dans les entreprises où ils travailleront, où tu travailleras aussi… Alors, autant commencer tout de suite à apprendre à gérer tes relations.
Plus fort que L’art de la guerre de Sun Tzu, l’art de retourner la méchanceté des méchants. Et peu importe si l’efficacité de répondre à son agresseur de manière paradoxale est invalidée par de nombreuses études. Emmanuelle Piquet joue sur la peur pour se faire comprendre, n’hésitant pas à expliquer aux victimes qu’elles risquent de l’être toute leur vie si elle ne se sortent pas les doigts du fiak.
Quelques pages plus loin, elle les invite carrément à se préparer au combat. Littéralement. Grâce aux arts martiaux…
Ce que repèrent les champions dans le fait d’embêter les autres, c’est d’abord la posture, l’attitude de l’enfant vulnérable. C’est facile : si tu es harcelé ou que tu as peur de l’être, tu as tendance à rentrer le cou dans les épaules, à raser les murs, à éviter le plus possible tes agresseurs, à tenter de te rendre invisible. Et ça, ça donne au harceleur un indice fort : tu es une cible de choix. Or, quand on a peur, c’est impossible de changer de posture, voilà pourquoi il est essentiel d’avoir quelque chose à dire ou à faire pour avoir moins peur et donc changer d’attitude. Et c’est possible, grâce la règle d’or (sic), celle du 180°, que je vais te présenter tout au long de ce livre.
Prendre des cours d’aïkido ou de judo, ça peut t’aider à changer de posture, parce que du coup, tu as moins peur de te battre, les autres le sentent et se disent que tu es moins intéressant comme cible, que c’est plus risqué de s’attaquer à toi. Mais, au minimum, tu essaies déjà de regarder tes adversaires droit dans les yeux. Parfois, cette simple affirmation par le regard suffit.
Action !
Eh oui gamin, si tu te fais bolosser, c’est que tu l’as un peu cherché ! Reprends-toi ! Relève la tête ! Travaille ton gainage ! Sois un homme ! Et ne compte pas chouiner dans les jupes de maman ! Elle ne peut rien pour toi !
Le problème avec les adultes qui nous aiment et veulent nous défendre contre le harcèlement, c’est que souvent, sans le faire exprès, ils aggravent la situation.
Non contente d’inciter des jeunes en détresse à se défendre seuls, elle renforce leur détresse et leur isolement en leur expliquant sans sourciller qu’il ne faut surtout pas compter sur les adultes. Et au diable les nombreux travaux qui démontrent la dangerosité de tels conseils, notamment ceux du psychologue Dan Olweus, cité dans un rapport de l’Observatoire International de la Violence à l’École :
Une victime de harcèlement en milieu scolaire qui ne bénéficie pas du soutien des adultes parce qu’elle n’a pas parlé de son problème ou parce que les adultes pensent qu’il ou elle doit apprendre à se défendre seul et qu’il s’agit de simples chamailleries entre enfants présente quatre fois plus de risque d’attenter à sa vie qu’un autre enfant.
Dans le monde impitoyable d’Emmanuelle Piquet, l’adulte est au mieux un maître d’armes qui prépare son élève au combat. Même si l’élève en question n’a que 14 ans. Et que le combat peut conduire à la mort…
La meilleure tactique, selon moi, c’est qu’un adulte lise ce livre avec toi et qu’il t’aide à trouver la parade verbale, la « repartie boomerang » qui va te sortir de là. Et aussi à t’entraîner.
Une fois qu’Emmanuelle a fait le vide autour des victimes, elle peut leur vendre sa méthode comme le seul recours à tous leurs problèmes. Elle se fend même d’une clause de non-responsabilité. Une véritable professionnelle !
Si ça ne marche pas, alors il sera toujours temps de passer à la leçon de morale et à la sanction contre ceux qui t’embêtent. Au moins, toi, tu auras essayé tout ce qui était en ton pouvoir. Et ça, c’est déjà du courage.
Nous n’en sommes qu’à la page 17 d’un livre qui en compte dix fois plus ! Et déjà l’envie de le refermer est forte. Mais il serait dommage de passer à côté de la suite, à savoir de la dizaine de récits de pseudo élèves harcelés ou étant dans des situations conflictuelles. Afin d’aller à l’essentiel, j’en ai sélectionné quatre.
Récit n°3
Commençons par le témoignage d’un prétendu Dorian, 14 ans, baptisé « clafoutis » par ses camarades de classe, du fait de son acné. Dorian se fait insulter et rabaisser par toutes sortes de personnes de son collège, et même du lycée voisin. Un jour, les adultes s’en sont mêlés. D’abord le cantinier, puis le père de Dorian et enfin la psychologue du collège. Bien entendu, ces différentes interventions n’ont rien réglé. Bien au contraire, puisqu’on apprend que Dorian est désormais surnommé « clafoutis la balance ».
Heureusement Super Emmanuelle a des « stratagèmes » plein sa besace !
Accrochez-vous.
Stratagème n°1
Mettre une lotion contre l’acné en photo de profil Facebook et indiquer dans son statut : « Comme ça intéresse beaucoup mes fans, je vais leur indiquer tous les jours où j’en suis : aujourd’hui 20 février, 42 boutons, dont 8 très mûrs, un qui va sûrement repeindre toute la salle de bains et une quinzaine en voie de cicatrisation. Pour les autres, état stagnant. Qui dit mieux ? »Stratagème n°2
Chaque fois qu’il entend son surnom, se retourner en se touchant le visage et se jeter sur un des moqueurs en hurlant : « Attention, c’est contagieux, demain tu en auras quatre purulents. »Stratagème n°3
Se faire un tee-shirt avec inscrit dessus : « J’ai de l’acné, mais je me soigne. Toi, pour ton cerveau, on va faire comment ? »
Devinez lequel de ces conseils, tous plus aberrants les uns que les autres, notre brave Dorian a choisi de suivre. La réponse en image :
La méthode Piquet, en une illustration ! (crédit photo : Lisa Mandel)
D’après Emmanuelle, grâce à son tee-shirt magique, Dorian a gagné le respect de ses anciens bourreaux. Terminé les « clafoutis » ou « clafoutis la balance ». Désormais, tous s’extasient devant l’audace du jeune garçon et ne rêvent que d’une chose : avoir le même tee-shirt ! Mieux, Dorian cartonne sur les réseaux et mon petit doigt me dit qu’il ne va pas tarder à connaître les joies de l’amour. Le succès est tel que même l’infirmière scolaire en est béate d’admiration. Elle estime que la super technique d’Emmanuelle devrait être enseignée dans le monde entier. Rien que ça ! Plus c’est gros, plus ça passe. Telle est la devise d’Emmanuelle.
Récit n°7
Nouveau récit, celui de Nora, 14 ans elle aussi. Son problème ? Sa sœur a posté une photo sur Facebook. Une photo de vacances où on la voit en maillot de bains, un rose, qui donne une fausse impression de nudité. Une photo qui a été abondamment partagée et commentée par ses camarades.
Nora n’a pas osé en parler à sa mère, de peur que cette dernière ne lui confisque son téléphone « jusqu’à environ [ses] 25 ans »… C’est pourquoi elle a préféré simuler une « gastro terrible » pour éviter d’avoir à retourner au collège. Ce trépident scénario s’achève sur les réflexions de la jeune adolescente qui envisage une scolarisation à distance via le CNED. C’est dire si la situation est grave.
L’idée du CNED, Emmanuelle n’y est pas trop favorable. Pour ne pas dire hostile. L’instruction hors école, très peu pour elle. Comprenez bien que Nora risque la mort sociale en quittant le collège. Et la fin de toute estime de soi. Écoutons comment notre experte en parle :
[…] tu seras enfermée dans ta chambre, sans aucune vie sociale. En plus, tu te sentiras sûrement un peu nulle de ne même pas avoir tenté le combat.
Plus caricatural, tu meurs.
Le « combat ». C’est justement ça qui excite Emmanuelle. Préparer « mentalement » de jeunes gens en détresse au « combat ». Car la vie, la vraie, c’est la guerre ! Et notre sergent-chef a une idée pour aider Nora à évoluer dans la jungle de l’existence. Une idée lumineuse. À montrer dans toutes les écoles.
Suppose qu’ils commencent à ricaner entre eux au moment où ils t’aperçoivent et qu’ils s’approchent de toi et te disent des trucs du type : « Alors la chaudasse, on est à oilpé sur Facebook ? Tu les vends tes photos porno, ou bien c’est gratuit ? »
[…]
Imagine que tu leur dises : « La photo est gratuite pour l’instant, contrairement au film que je suis en train de tourner. Mais vous êtes trop petits pour le regarder, vos mamans voudront jamais. »
[…]
Ils pourraient dire : « Ah donc c’est vrai que tu es une vraie p… » Et si tu continues à répondre, par dessus ton épaule : « Tu es trop petit pour parler de ça, mon chéri, va prendre ton goûter chez maman » ou « commence par soigner cette vilaine acné, on discutera ensuite ».
Inciter une jeune fille de 14 ans à se mettre à nue, au sens littéraire et littéral, lui conseiller d’insulter le physique de son harceleur pour mettre fin au harcèlement, il se peut que certains d’entre-vous se soient évanouis devant cette masterclass de l’horreur. Mais rassurez-vous. Nora n’a pas eu à jouer la bad bitch devant tout le collège. Car finalement personne n’a reparlé de la photo postée par sa sœur…
Récit n°12
On enchaîne avec Salomé, 12 ans, dont l’identité de genre suscite de nombreuses interrogations chez ses camarades, notamment chez un certain Dylan. Dylan est un adolescent cisgenre aussi curieux qu’espiègle. Deux qualités qu’il met à profit dès que l’occasion se présente. Dylan a une question récurrente, qu’il pose toujours à la même personne : Salomé. Une question qui l’obsède. Obsession renforcée par le refus de Salomé d’y répondre. Voilà pourquoi Dylan n’a d’autre choix que de pourchasser Salomé en lui demandant si elle est une fille ou un garçon. Il a même essayé de soulever son tee-shirt pour obtenir une réponse… C’est dire s’il a soif de savoir. Mais Salomé en a marre. Elle voudrait que Dylan la laisse tranquille.
Et c’est là qu’intervient le colonel Emmanuelle.
Avec Salomé, nous avons construit le plan d’attaque suivant : « Tu vas mettre tous tes copains au courant de ce que je vais te proposer et te débrouiller pour qu’ils soient le plus nombreux possible au moment où tu décocheras ta flèche. Lorsqu’il se mettra à sauter à côté de toi pour hurler sa question, tu vas lui envoyer en le regardant bien droit dans les yeux : oui, je suis un garçon. Tu veux vérifier ?
Salomé me répond, affolée : « Mais s’il dit oui ?
– Eh bien, tu lui dis : C’est 200 euros. Donne-les moi et tu pourras regarder »
Qu’est-ce qu’il va faire, à ton avis ?
– Il va avoir l’air vraiment débile. Je ne pense pas qu’il va me suivre. S’il fait ça, il perd la face. Et puis, s’il vient quand même et qu’il me donne 200 euros, je lui dirais : En fait, j’ai bien réfléchi, c’est 500. Parce que franchement tu vas être super-étonné.
Nous sommes en effet « super-étonnés » qu’une femme approchant la cinquantaine incite une préadolescente à monnayer son corps. Surtout quand cette femme se présente comme une spécialiste du harcèlement scolaire en activité depuis près de vingt ans.
Récit n°13
On croit avoir touché le fond avec le récit de Salomé, mais c’est mal connaître super Emmanuelle, reine des profondeurs, qui se surpasse dans une nouvelle scénette mettant en scène les déboires de Hugo, 14 ans. Que lui arrive-t-il à ce brave Hugo ? Eh bien tout le monde se fout de sa gueule ! Car Hugo est Asperger. Et ce petit détail en fait rire (beaucoup) certains, notamment « une bande de rigolos de [sa] classe » qui a créé une chanson intitulée « Nono, le petit robot ». Une chanson qu’ils chantent à chaque récréation en l’accompagnant d’une danse censée imiter la démarche atypique de ce pauvre Hugo.
Cette situation ne laisse pas Emmanuelle de marbre, « très énervée par [la] bande de rigolos ». Elle ne supporte pas leur sadisme et entend bien leur donner une bonne leçon, par Hugo interposé. Sans surprise, elle imagine un scénario qui renverserait le situation. Sa fameuse stratégie du 180°. On l’écoute.
Tu vas prendre une mini-enceinte et la brancher à ton portable sous ton blouson avec la chanson de Nono le petit robot, que tu apprends par cœur. Et tu vas t’entraîner à danser comme un robot sur cette musique.
La prochaine fois qu’ils viennent en chantant, tu lances la musique et tu te mets à danser en mode star du rock en chantant les paroles de la chanson comme si c’était le dernier titre à la mode.
Je vois ce que vous vous dites. Qu’un tel conseil pourrait conduire Hugo tout droit au cimetière. Eh bien détrompez-vous ! Car selon Emmanuelle le jeune adolescent est parvenu à mettre en déroute ses harceleurs et vit désormais en paix. Comme quoi il ne sert à rien de s’embarrasser d’études complexes au langage abscons. Un peu d’imagination et de culot suffisent !
Récit n°14
Allez, un petit dernier pour la route !
Baptiste, 14 ans, fricote avec Gladys, une fille de son collège, « jolie, intelligente, drôle », une « vraie fraîcheur ». Baptiste est un garçon intelligent. La preuve, il emploie des locutions adverbiales comme : « sans aucune vergogne ». C’est dire s’il en a dans le ciboulot ! Rapidement il réalise que Gladys est une personne frivole, superficielle et calculatrice. Et qu’elle exerce une emprise croissante sur sa petit existence, lui imposant de nouveaux vêtements, de nouveaux amis… Une situation qui inquiète ses anciens copains, jugés trop « Ksos » par Gladys. Ecoutons-les :
Mec, j’ai l’impression d’être dans une vieille série bien pourrie en te disant ça, mais ta meuf elle t’a vraiment changé. Et désolé, mec, mais pas en bien.
Oui, dans l’univers si spécial d’Emmanuelle Piquet, les jeunes des années 2010 parlent comme la VF d’Eddie Murphy…
Ce constat glaçant a fait réagir Baptiste, qui a largué sur le champ sa petite amie toxique. Seulement, il n’avait pas prévu que cette dernière se venge d’avoir été éconduite comme une malpropre. Gladys a ainsi piraté son compte Facebook et posté des messages relatifs à sa supposée mauvaise haleine. Rude. Mais la chipie ne s’est pas arrêtée en si bon chemin puisqu’elle a choisi de créer une page intitulée « Baptiste et son haleine de chacal », une page ayant son petit succès.
Le sang d’Emmanuelle n’a fait qu’un tour en apprenant les perfidies de cette garce de Gladys – même si en réalité Emmanuelle a créé de toute pièce cette captivante histoire et que Gladys n’est qu’une émanation de son génie créatif.
Gladys a sans doute trop compté sur le caractère pacifique de Baptiste, sur le fait qu’il se laisserait faire en espérant qu’elle s’arrête et, du coup, elle est devenue moins prudente. ELLE NE SAIT PAS QU’IL EST VENU ME VOIR.
C’est une Emmanuelle ayant revêtu sa panoplie de chef de gang qui vient en aide à cette chiffe molle de Baptiste. Et on peut compter sur ses ingénieux « stratagèmes » pour renverser la situation.
J’ai donc imaginé avec Baptiste qu’il pourrait publier sur le mur de « Baptiste et son haleine de chacal » le post suivant : « Bonjour à tous. Merci de votre soutien dans cette pénible épreuve. Pour éviter cette terrible maladie à d’autres, je tiens à préciser qu’elle ne touche que ceux qui commettent l’erreur d’embrasser des vipères. Pendant plus d’une semaine, j’ai commis cette grave erreur. Mais je commence à me rétablir. Attention aux vipères ! Faites passer. »
Plus fort que Vipère au poing. Merveilleux. D’autant plus que ça a marché. Bien entendu. C’est ça qui est fantastique avec la littérature. Tout est possible.
Fort heureusement, les recommandations officielles concernant le cyberharcèlement sont moins lunaires et plus rationnelles :
Que faire en cas de harcèlement en ligne ? Ne pas répondre, en parler à un tiers de confiance, verrouiller vos comptes de réseaux sociaux, déposer plainte…
Le livre-fiction d’Emmanuelle Piquet se termine avec un test censé nous permettre de vérifier qu’on a bien compris comment répondre à nos harceleurs, et avec une double page dressant le panorama du harcèlement en France. Rien sur les numéros d’urgence. Rien sur les recommandations officielles. Rien sur d’autres ouvrages.
Que dire, en guise de conclusion ?
Que les stratégies d’autodéfense et de réplique individuelle sont loin d’être partagées par tous. Rappelons par exemple cette mise en garde de l’Observatoire européen de la violence à l’école :
Une victime de harcèlement en milieu scolaire qui ne bénéficie pas du soutien des adultes parce qu’elle n’a pas parlé de son problème ou parce que les adultes pensent qu’il ou elle doit apprendre à se défendre seul et qu’il s’agit de simples chamailleries entre enfants présente quatre fois plus de risque d’attenter à sa vie qu’un autre enfant. Et ce risque est multiplié par deux ou trois lorsque le harcèlement touche à l’identité sexuelle, en particulier pour tout ce qui touche au sexisme, à l’homophobie, à la transphobie.
Rappelons également qu’il est hasardeux d’inciter les victimes à se défendre seules, comme le souligne une étude publiée dans le journal officiel de la Société française de Psychologie :
Certains sujets ont tenté de se rebeller, de riposter physiquement ou verbalement, parfois de façon planifiée et délibérée, parfois impulsivement. D’autres ont essayé de confronter leur(s) harceleur(s) en les interpelant directement et en exprimant l’effet négatif que leurs comportements avaient sur eux. Ces réponses sont décrites par les participants comme inadaptées ou manquant d’assurance.
Ou encore que cela est contre-productif, comme le rappelle cet article de la revue Enfance :
[Des dizaines d’]études suggèrent que des programmes d’intervention dont les efforts cibleraient uniquement les harceleurs et leurs victimes auraient peu de chance d’aboutir à des résultats positifs et durables. Ils démontrent au contraire qu’il est plus judicieux de viser à modifier les comportements des élèves témoins du harcèlement.
Enfin, rappelons qu’un programme ambitieux de lutte contre le harcèlement a été mis en place dans de nombreux pays, un programme que la Revue internationale d’éducation de Sèvres présente ainsi :
En Finlande, le programme KiVa, proposé depuis 2006, repose sur trois piliers : la prévention, l’intervention et le suivi. C’est le programme contre le harcèlement le plus étudié au monde. Adopté par 90 % des établissements scolaires du pays, il est également mis en œuvre aux quatre coins du monde (Italie, Pays-Bas, États-Unis, Nouvelle-Zélande, Estonie ou encore Belgique). Le programme KiVa concerne l’ensemble de la communauté scolaire et poursuit quatre objectifs : développer la conscience du rôle joué par le groupe face aux situations de harcèlement ; accroître l’empathie à l’égard des victimes ; développer les stratégies des élèves pour aider les victimes ; accroître les capacités des élèves à faire face aux situations de harcèlement. Adapté à la tranche d’âge des enfants, il s’organise autour de discussions, de jeux vidéo, de films et de jeux de rôles au cours desquels les élèves s’identifient à la victime, à l’agresseur et au témoin. Les activités s’adressent particulièrement aux élèves dits « neutres », c’est-à-dire témoins de situations de harcèlement.
À contre-courant des propos tenus par Emmanuelle Piquet, Christina Salmivalli, une des initiatrices du programme KIVA ajoute :
Le but n’est pas de transformer les élèves victimes pour les rendre moins vulnérables, ni de cibler directement les agresseurs, mais de modifier le contexte, de façon à ce que les nouveaux comportements de tout le groupe de pairs découragent les harceleurs et minimisent les conséquences du harcèlement pour les victimes.
Pour finir, rappelons qu’il existe un numéro bien plus utile que les conseils aberrants de notre chevalier de l’Ordre du Mérite (oui, je parle bien d’Emmanuelle Piquet, mais en même temps c’est ce bon vieux Jean-Michel Blanquer qui l’a décorée) : le 3018, à destination des victimes de harcèlement et de cyberharcèlement.

