Un référentiel hautement politique

On vous explique la polémique sur le guide d’accueil en crèche qui a été le feuilleton parentalité de l’été par presse interposée.

De quoi on parle ?

A été publié le 2 juillet 2025 par le Ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, un Référentiel National de la qualité d’accueil du Jeune Enfant. Ce document répond à un besoin d’unifier les pratiques des professionnels de la petite enfance (crèches, assistants maternels, PMI…) qui n’étaient jusqu’alors pas du tout encadrées. Les différentes affaires mettant en avant des cas de maltraitances avérées dans des lieux d’accueil ces dernières années ont aussi dû peser dans la balance et ont en tout cas mis à jour une réalité face à laquelle il fallait réagir de toute urgence.

Que contient réellement ce guide ?

– Il fait la part belle aux besoins de sécurité affective de l’enfant (selon la théorie de l’attachement). La posture d’écoute empathique de l’adulte, sa disponibilité pour l’enfant, sa communication verbale (désigner, parler des émotions, encourager) et non-verbale (regarder, porter, câliner) sont primordiales.

– Le guide rappelle l’explication scientifique aux pleurs / colères qui ne semble pas avoir été assimilée pleinement par les professionnels de la petite enfance et qui pourtant doit faire partie de leur formation.

« Lorsque les enfants expriment des émotions fortes (colère vive, joie intense…), ils les accompagnent et les sécurisent sans chercher à empêcher l’expression de ces émotions. »

« Le jeune enfant n’est pas en mesure de réguler seul ses émotions (agréables ou désagréables) du fait de l’immaturité de son cerveau. […] La régulation des émotions viendra progressivement chez l’enfant notamment par imitation des adultes. »

« Lorsque l’enfant exprime des émotions désagréables fortes : – Les professionnels ne lui disent pas de se calmer, ne minimisent pas ses émotions (« ce n’est pas grave »), et ne le grondent pas parce qu’il crie. »

« Les pleurs sont une alarme qui traduit chez l’enfant un besoin insatisfait, même si celui-ci n’est pas identifié par l’adulte. Ce peut être un besoin physiologique (besoin de manger, de dormir…) ou d’inconfort physique (douleurs, érythèmes fessiers, douleurs dentaires, problème infectieux, fièvre…) et/ou psychologique (besoin de sécurité, d’être pris dans les bras de l’adulte, de réguler son niveau de stress…). Les pleurs ne sont jamais des caprices ou des tentatives de manipulation de l’enfant. »

Tout ce passage contient des informations clés qu’il faudrait répéter aux professionnels car j’ai l’impression que même si elles ont été enseignées en formation, elles sont vite oubliées sur le terrain. Or, c’est de là que découle tout un changement de paradigme sur l’enfant.

– Le guide rappelle par exemple aussi que le temps de familiarisation (anciennement d’adaptation) au lieu d’accueil, qu’il soit collectif ou individuel, doit être modulable (pas un protocole rigide), étalé sur plusieurs heures et sur plusieurs jours, idéalement aux mêmes moments de la journée pour plus de prévisibilité pour l’enfant. Et les parents peuvent ensuite venir à d’autres moments que ce temps de familiarisation.

– Tout aussi important, le guide encourage la pratique de l’observation régulière pour analyser en équipe les comportements d’un enfant et répondre à une question. Cette prise de recul peut aider à renouveler la pratique et à ressentir de l’empathie envers les enfants et surtout à avoir une ligne directrice et à harmoniser les pratiques au sein d’une équipe.

– Enfin, toute une partie du guide est dévolue au lien avec les parents : pour les accueillir, leur laisser la possibilité de rester sur le lieu d’accueil, pour soutenir les mères dans leur allaitement, pour leur raconter les journées de l’enfant gardé, pour assurer la continuité des pratiques parentales, pour répondre aux questions des parents (accompagnement à la parentalité).

Pourquoi une polémique ?

Car ce référentiel est perçu par certains comme trop bienveillant puisqu’on y proscrit la punition et qu’on donne pour boussole au personnel de la petite enfance les besoins de l’enfant, notamment les besoins affectifs (les nounous ont longtemps eu pour consigne de garder une « distance » affective par rapport aux bébés qu’elles gardent).

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En riposte, dès le 20 août 2025, paraissait dans Le Point* une tribune signée par plus de 200 professionnels d’horizons divers (psychologues, psychanalystes, médecins, professeurs…) dont Caroline Goldman et Elisabeth Badinter. Tels des trumpistes rétrogrades s’élevant contre le « wokisme », ils s’y outraient d’une soi-disant « infiltration de l’idéologie positive » dans le secteur de la petite enfance. **

* Le Point est un magazine d’actualité hebdomadaire appartenant au milliardaire François Pinault, ayant pour lectorat des cadres et étant classé à droite sur l’échiquier politique.

** On se rend compte d’ailleurs que de nombreux signataires sont en fait des partisans ou des membres de l’Observatoire de la Petite Sirène, un groupe traditionaliste transphobe dirigé par le tandem haut en couleur Masson / Eliacheff et qui agglomère des personnes anti-PACS, islamophobes et parfois multi-signataires de tribune dans la presse de droite. https://www.mediapart.fr/journal/france/170522/mineurs-trans-des-groupuscules-conservateurs-passent-l-offensive

Ce qui a fait grand bruit :

– LA TETINE ET LE DOUDOU

Attention ! Phrase à haut potentiel polémique : « Les enfants ont libre accès à leur doudou mais ils ne remplacent pas la présence et le réconfort de l’adulte en cas de détresse pour se sentir sécurisés. »

Les tétines-bâillons freinent l’acquisition du langage.

Les doudous et les tétines ne sont donc pas proscrits mais utilisés à la demande de l’enfant. Si l’enfant n’en a pas, le personnel d’accueil n’en réclame pas un systématiquement (ce qui doit être fait parfois !). Ces objets sont utilisés pendant les phases d’endormissement. Aux autres moments, la communication avec l’adulte est privilégiée car :

« L’émotion est un signal humain (social) qui nécessite d’avoir en premier lieu une réponse humaine (sociale) : l’adulte cherche d’abord à consoler l’enfant par la proximité physique et affective avant de lui proposer un objet pour le réguler. À ce titre, l’adulte n’utilise pas la tétine comme un frein à l’expression d’une émotion pour l’enfant. »

– LA PUNITION

« la punition (paroles dévalorisantes, coin, isolement,…) est proscrite par la loi, elle est contre-productive et défavorable à l’enfant : elle peut faire cesser le comportement non désiré sur le moment, mais ce type de pratiques peut renforcer sur le long terme les comportements inadaptés et/ou les attitudes d’opposition. […] L’enfant ne fait pas de caprices. Dans ses colères, il exprime un besoin frustré, et une difficulté à contrôler ses émotions et sa frustration. »

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Punir un enfant, c’est le laisser seul au cœur d’une tempête émotionnelle.

Ce positionnement définitif sur la punition a fait bondir les tenants d’une éducation à l’ancienne pour qui l’adulte domine de fait, sans avoir à se justifier, et exerce un pouvoir total sur la vie de l’enfant. Rappelons que la loi française contre tout châtiment physique ou psychologique date de 2019 et que notre pays était déjà un des derniers de l’UE à légiférer dans ce domaine. Les mentalités peinent à suivre…

Dézoom

On assiste donc à deux camps qui se font face et qui déroulent des argumentaires venant de courants d’idées contraires.

D’un côté, les tenants d’une psychologie freudienne dans laquelle l’enfant est forcément manipulateur, jaloux et soumis à des pulsions vicieuses, et qui, s’il est couvé par une mère trop protectrice (castratrice) devient un enfant-roi hurlant. En découle une nécessaire reprise en main de l’autorité parentale à coups de « time-out », de retour à la bonne vieille éducation rigoriste d’antan qui a fait ses preuves puisqu’« on en n’est pas morts ». Ce qu’Alice Miller appelait « la pédagogie noire ». Ainsi, on voit fleurir des discours de psychanalystes, souvent des boomers, très présents dans les médias et publiant pléthore de livres qui se veulent autant de manuels parentaux avec en filigrane une idée conservatrice de la société qu’on peut tout à fait retrouver chez Bruno Retailleau ou encore Marion Maréchal-Le Pen.

De l’autre côté, on trouve d’autres professionnels de la petite enfance qui se fondent davantage sur l’étude des neurosciences pour comprendre le fonctionnement du cerveau de l’enfant. Et de ce côté, tout nous dit qu’il est immature, qu’il a besoin d’une figure d’attachement primaire stable et patiente, qu’il est traversé par des tempêtes émotionnelles qu’il ne contrôle pas et que seule une réponse bienveillante lui servira dans ces situations, car il imitera les personnes qui prennent soin de lui. C’est ce qu’on a appelé « la pédagogie bienveillante ou positive ». Elle a aussi ses figures médiatiques (Isabelle Filliozat, Catherine Gueguen, Catherine Dumonteil-Kremer…) qui font rempart face au retour en force de positions rétrogrades sur l’enfant.

Mon analyse (qui n’engage que moi)

Je trouve que des enfants en bas âge qui se retrouvent séparés de leurs parents connaissent déjà un traumatisme suffisant, largement banalisés. S’ils sont accueillis par des personnes qui se révèlent un minimum à l’écoute, l’adaptation n’en sera que plus douce. Ce guide semble donc un premier pas essentiel pour abolir des pratiques maltraitantes.

Ce qui me saute aux yeux aussi, c ‘est qu’on assiste à travers ce débat à une fracture générationnelle. Les signataires de la tribune du Point sont en grande majorité des personnes de plus de 50 ans, beaucoup de retraités, certains au-delà de 70 ans. Ils n’ont clairement pas d’enfants en bas âge à l’heure actuelle et sont en décalage total avec les attentes des jeunes parents (trouver un lieu d’accueil bienveillant et respectueux pour leur bébé). Cette déconnexion de la réalité de la parentalité en 2025 s’additionne à l’influence des théories freudiennes périmées qui guident leurs pratiques professionnelles. Au final, ce sont les mêmes personnes qui ont admiré la gifle de François Bayrou sur un enfant comme symptomatique d’un homme de poigne capable de diriger.

La réalité du terrain et les perspectives pour les professionnels de la petite enfance

Si ce guide est reçu de manière aussi mitigée, c’est qu’il semble bousculer des habitudes bien ancrées.

En lisant les bonnes pratiques énumérées sur 50 pages, transparait en filigrane ce qui se fait réellement sur le terrain. Ainsi, on est en mesure de comprendre que les pratiques majoritaires aujourd’hui en France sont (pêle-mêle) : de laisser l’enfant avec sa tétine dans la bouche toute la journée pour se débarrasser des pleurs, de ne pas lui parler ni le regarder tant qu’il ne fait pas de bruit ou ne pleure pas, de s’adresser aux enfants avec des propos abêtissants et non pas de vrais mots, de négliger les enfants discrets et de s’acharner sur les enfants dits agressifs, de gronder quand un enfant est en colère ou qu’il pleure en criant et/ou en punissant dans le but qu’il arrête ses cris le plus vite possible, de poser énormément d’interdits de façon arbitraire, de voir le danger partout et d’empêcher les explorations motrices des enfants plutôt que de repenser l’environnement ou de travailler sur ses propres peurs, d’interdire l’accès aux objets du quotidien qui ne sont pas des jouets, de laisser libre cours aux stéréotypes de genre qui gangrènent notre société patriarcale, de forcer des enfants à dormir ou à manger juste parce que c’est l’heure de la sieste/du repas, d’exiger que les parents arrêtent d’endormir en porte-bébé, de ne pas autoriser les enfants à expérimenter et se salir en extérieur, de ne pas supporter les pleurs car ils sont identifiés comme des échecs insupportables de la capacité à garder des enfants, de réprimer tout élan d’affection envers l’enfant gardé, de prêter des intentions mauvaises (égoïsme, méchanceté, manipulation) aux enfants par ignorance scientifique du fonctionnement du cerveau, de réagir à de l’agressivité par de l’agressivité, d’utiliser le chantage pour arriver à ses fins, de punir, de gronder, de laisser l’enfant mariner dans ses excréments parce que ce n’est pas l’heure du change, de dresser l’enfant à la continence, de réprimer toute activité masturbatoire en se moquant, en s’énervant ou en culpabilisant, de ne sortir que quand il fait beau et toujours au même endroit, de laisser l’enfant dans sa poussette pendant plus d’une heure, de mettre l’enfant devant un écran, même avant 3 ans, de refuser de donner du lait maternel, de demander aux mères allaitantes de sevrer l’enfant, d’utiliser son smartphone devant les enfants, d’appliquer des protocoles rigides parce que c’est comme ça qu’on fait mais sans questionner les pratiques en équipe, de ne pas prendre les enfants dans les bras pour ne pas qu’ils s’habituent, de ne pas décharger ses propres émotions au sein de l’équipe et donc de refouler ses problématiques en prétendant que tout va bien, qu’on sait s’y prendre.

Le résultat est très certainement des professionnels qui se désengagent du lien avec l’enfant car ils sont coupés de ce qui devrait être passionnant dans ce métier et croulent à la place sous des tâches répétitives sans la récompense émotionnelle que provoquerait une complicité avec l’enfant. C’est ce détachement, typique du burn-out, qui peut mener à des comportements de négligence voire de maltraitance et qui doit être évité à tout prix.

Travailler en crèche ou en tant que nounou exige une totale immersion avec l’enfant, une réelle présence à l’enfant à tout moment, ce qui est extrêmement fatigant mais également très subtil en terme de psychologie. Il faudrait d’urgence revoir les salaires de ce corps de métier pour garder la motivation intacte dans un métier très répétitif (encore un métier du care surinvesti par les femmes et dévalorisé par la société). Il semblerait également bénéfique qu’il y ait davantage d’heures rémunérées sans les enfants, sous forme d’ateliers de réflexion sur la pratique et de formation continue.

Réponse du comité scientifique

Enfin, le 28 août 2025, devant les débats houleux ayant fait suite à la publication de la tribune du Point, le comité de pilotage du Référentiel s’est également fendu d’une tribune précisant sa démarche profondément scientifique et résolument non-violente.

La suite au prochain épisode (en attendant, vous pouvez lire les nombreux commentaires sous tous les articles publiés à ce sujet dans la presse régionale et nationale, qui en disent long sur la force de conviction des tenants des deux parties)…

Une réflexion sur “Un référentiel hautement politique

  1. Merci beaucoup de ce mail 🙏 Je vous soutiens de tout cœur dans cette démarche essentielle. Si vous avez besoin de professionnels supplémentaires, n’hésitez pas à me solliciter. Je suis infirmière -puéricultrice, je n’exerce plus en tant que telle mais j’ai de solides connaissances et expériences dans le domaine des neurosciences affectives et sociales et j’ai longuement œuvrer pour faire évoluer les pratiques des professionnels dans les structures où j’ai travaillé, j’ai aussi formé mes équipes et enseigné dans les écoles d’auxiliaires de puériculture. Si je peux être utile, ce serait avec plaisir. Bien à vous Sandra Coulon

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